Au départ de regards furtifs sur les chose du commun (paysages, objets, etc.), de coups d'œil vifs qui n'enregistrent pas servilement le réel mais en distillent les traits essentiels, Nathalie Doyen a matérialisé un univers d'objets anonymes dont elle dessine les profils par centaines, à la manière du calligraphe chinois, sur des rouleaux de papier. Il s'agit de formes simples ou complexes, abstraites, le plus souvent géométriques, qui n'existent jamais isolément mais selon leur rapport à des ensembles qui le dépassent, tel le sujet d'une œuvre de Gaspar David Friedrich, perdu dans l'immensité d'un paysage de montagne.
Une installation baptise “Undertow” (1999-2000) consistait ainsi en la disposition, posés en constellation sur le sol, de milliers de ces petites formes moulées, en terre blanche, inspirées par ce fameux lexique visuel. L'œuvre reconstituait, selon le regard de l'observateur, tantôt une sorte de galaxie en deux dimensions, tantôt une maquette de cités sans fin, ou encore, un paysage minéral semi abstrait. Dans “Un souffle sous mes paupières” (2001), œuvre exposée en permanence au Musée royal de Mariemont, Nathalie Doyen abandonne la terre pour nous raconter l'histoire du d'un lieu par la présence du vent. Comme eut pu le faire Alexandre Calder, elle crée une œuvre silencieuse, entre matérialité et immatérialité, en totale appréhension de l'atmosphère du site. Le signe initial est cependant beaucoup plus simple mais d'une force insoupçonnable : des bâtonnets de porcelaine façonnés entre ses doigts, suspendus ensuite par des fils et concentrés par centaines en ondée, au gré des courants d'air du lieu où elle les a «installés ».
Dans la grande salle du Musée Ianchelevici, elle décide ici reconstruire une œuvre abstraite, sorte d'immense colonne vertébrale constituée de la mise bout à bout de plaques en terre cuite colorée. Pour réaliser chacune d'entres-elles, Nathalie Doyen est, une fois de plus, partie de ce fameux lexique. Le jeu consistant ici à adoucir les différences trop grandes entre chaque forme, en créant leurs valeurs intermédiaires. Sur toute sa longueur, l'œuvre est ainsi animée de nervures résultant des lignes de force de ses quelques formes archétypales de départ. L'œuvre est ainsi graphique mais tout aussi minérale, comme taillée par le vent.
Tout récemment, l'artiste s'est lancée dans la création de petits objets présentés en murale; Ces formes, également primordiales, tantôt cuites, tantôts crues, sont des machines à nourrir notre imagination. S'agit-il d'êtres vivants, de pierres poncées par le ressac, d'organes humains...? A moins qu'elles ne soient simplement ces objets qu'enfants nous désirions collectionner, sans trop de raisons, pierres ramassées la vie durant, devenue familière, talismans d'une tribu réelle ou imaginaire? La réponse est dans le regard que l'artiste porte sur le Grand Œuvre du commun.
Affranchie de la technicité de la céramique, discipline à laquelle elle a été formée à l'Académie de Tournai, enseignant toutefois celle-ci, Nathalie Doyen mène discrètement, secrètement même, une œuvre plastique dont la simplicité apparente cache un riche univers intérieur.
Ludovic Recchia, Musée royal de Mariemont, octobre 2006